#7 Journal d’Ulysse, l’as du confinement

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 » – Incroyable, tu te décides enfin à bosser… Parce que t’en as pas foutu lourd ce matin, à moins que j’ai raté un truc. J’imagine que ça veut dire tu as fini de préparer les papiers pour le comptable ?

– Ca me gonfle, répond L’AUTRE. Je ferai cela la semaine prochaine, quelque chose me dit que je vais avoir du temps. Rechercher trois factures et deux bons de commande quand  je sais qu’on sera fermés encore un bon mois, cela me fait l’impression de ranger les transats sur le pont du Titanic

– Un transat, je vois bien mais c’est quoi le Titanic ?

– T’occupe. Au fait, c’est nouveau que tu parles, toi ?

– N’importe quoi !

– Alors c’est que pris par l’agitation du vaste monde, je ne prenais pas assez le temps de t’écouter…

– Waouh, super profond, mec. T’es tombé dans le rayon Développement personnel de la librairie avant de baisser le rideau ou t’as pris une grande tartine de Christophe André au petit déj ce matin ?

– Moque-toi, chat de peu de foi. Mais ça tombe bien en définitive. Approche un peu les moustaches, Ulysse, j’ai besoin de ton avis. Pas sur le clavier, bordel, combien de fois il faudra que je te le répète ? 

– Mais je vois pas bien, comme ça !

– Alors viens sur mes genoux…

– Et les distances de sécurité ? J’ai pas envie d’attraper votre cochonnerie, moi !

– Tu ne risques rien vu que t’es un chat. Je te l’ai répété cent fois.

– Des fois, on nous raconte un truc et le lendemain on nous dit exactement le contraire.

– Je ne vois vraiment pas à quoi tu fais allusion. En attendant, regarde ce beau tableau avec plein de colonnes. C’est la liste de mes lectures depuis une douzaine d’années. 

– Ah ouais, tout ça quand même. Et ça te sert à quoi ?

– A ne pas oublier ce que je fais. En passant, ce serait bien que tu adoptes toi aussi un système de rangement avec tes doudous. Ca m’éviterait de retrouver des balles, des cerceaux et des vieilles chaussettes dans des endroits incongrus.

– On va y réfléchir. Mais ça ne me dit pas ce que tu attends de moi.

– On va faire des listes de livres, Ulysse. Parce que sans vouloir te vexer, t’as pas une activité frénétique au point de nourrir un billet quotidien. Lit – radiateur – sofa – chaise – reradiateur… Je vais avoir du mal à tenir un mois. Ce serait bien qu’à un moment ou à un autre je parle de livres.

– Tu oublies les passages à la gamelle. Et je te trouve vexant, il y a beaucoup à raconter, figure-toi. Tiens, ce matin, pendant que tu perdais ton temps sur l’internet, je suivais la danse d’une abeille derrière la vitre, j’observais cette petite bête opiniâtre, concentrée sur sa tâche modeste et essentielle, insensible à la beauté de ce matin de printemps qui lui était consubstantielle et qu’elle célébrait dans une manière de culte élégiaque. J’aurais bien aimé la bouffer.

– Je n’ai pas ce talent, Ulysse. Si c’était le cas, j’écrirai les livres au lieu de les vendre. Tu sais, il faut beaucoup de talent pour dire le presque rien.

– C’est sûr que si tu n’essaies pas… C’est pourtant le moment de s’y mettre, on ne peut pas dire que tu sois surbooké. 

– Mon pauvre matou… Je frémis déjà en pensant au nombre de journaux de confinement qu’on va se manger à la rentrée. J’en suis à espérer que là aussi, il faudra une attestation administrative pour avoir le droit de publier. Bon, on propose quoi comme liste à nos lecteurs ?

– Dix livres avec des chats, peut-être. Ca me semble une bonne idée…

– Ne sois pas aussi autocentré, Ulysse, tu me rappelles certains auteurs. Non, quelque chose de plus littéraire

– Tanizaki, Soseki, Baudelaire, Eluard… Pas assez littéraire pour Monsieur ?

– J’aime pas quand tu te la pètes, Ulysse, je t’ai pas élevé comme ça. Non, j’ai une idée, on va faire une sélection de romans américains ruraux.

– Tu l’as déjà fait il n’y a pas si longtemps, et puis, des histoires de péquenauds qui engrossent leurs cousines  de douze ans derrière la grange entre deux distillations clandestines de mauvais whisky, t’en as pas marre à la longue ?

– Ta créativité est sans limites ! L’humour, comment diable n’y ai-je pas pensé plus tôt ?

– Tout le monde aime les livres drôles, il faut être consensuel en ce moment.

– Les livres sur les chats aussi, tout le monde aime ça. Il n’y a qu’à  voir le nombre de couvertures avec nos bobines. Trop mignonnes. C’est plus des librairies, c’est le quai de la Mégisserie.

– N’insiste pas. Ma décision est prise. Ulysse, tu prends un stylo et tu notes. »

Voici donc une liste de livres drôles choisis par L’AUTRE. Si vous voulez mon avis, c’est comme les plus belles actrices (ou acteurs, tiens, on va pas prêter le flanc à la critique facile), les dix plus beaux buts ou les dix meilleures pâtisseries parisiennes, cela veut tout dire et rien dire. C’est très personnel. Je vous avoue que moi, son chat, je ne les ai pas tous lus. Mais connaissant L’AUTRE et son sens de l’humour parfois tout pourri, je serais de vous, je me méfierais un peu. Voici donc la liste des nominés, j’en profite pour remercier les auteurs, les éditeurs, les transporteurs et bien sûr le coronavirus sans lequel nous ne serions pas tous rassemblés ici, ce soir. 

Trois hommes, deux chiens une langouste de Ian Levison (Liana Levi). Trois  bras cassés préparent un casse aussi bancal que tendre et drôle. Dans la même veine, même histoire en un peu plus trash, Bacchiglione blues de Matteo Righetto. Et dans la série des polars humoristiques sur fond de coup qui foire, la série des Dortmunder de Westlake. L’AUTRE les pas tous lus, loin de là, mais c’est semble-t-il que du bon.

Journal d’un vieux con, de Topor. Un imbécile pérore et se pense le nombril du monde, la source de toutes les inspirations. L’AUTRE me dit que cela lui rappelle quelqu’un, je refuse de comprendre. 

Tortilla Flat de John Steinbeck. Un des premiers romans du grand homme, raconte le quotidien de Danny et de ses amis dans la région de Monterey, Basse Californie,  dans les années de la Grande Dépression (pas la nôtre, celle des années 1930). Lumineux, drôle de bout en bout, L’AUTRE l’a lu 8 ou 9 fois avec un égal bonheur sur les 30 dernières années. Si vous aimez, il vous conseille aussi le dyptique Rue de la sardine / Tendre jeudi, plus tendre et moins picaresque. Ah, une bonne nouvelle. : si vous êtes toujours confinés à la Toussaint L’AUTRE  vous promet de mettre en ligne un dossier très fouillé entièrement consacré à son auteur préféré (un de ses auteurs préférés, en tous cas).

Gog de Giovanni Papini chez Attila : à mon avis celui-ci, il est là pour la caution intellectuelle. Ah non, L’AUTRE insiste, c’est vraiment très bien. C’est épuisé depuis pas mal d’années mais cela se trouve peut-être disponible en numérique.

La fille du cannibale, de Rosa Montero. Elle perd son mari dans un aéroport. Plus elle le cherche, et plus elle se rend compte que ce type ne lui manque pas tant que cela. Un seul être vous manque, et tout est repeuplé.

Le ravissement de Britney Spears, de Jean Rollin. Qui d’autre que Jean Rollin peut envoyer à Los Angeles un agent secret de 3ème zone qui n’a même pas le permis de conduire ?

7 ans de bonheur, d’Etgar Keret. Keret, le roi de la très courte distance, véritable Usain Bolt de la littérature.  Ce texte autobiographique est aussi drôle qu’émouvant, Keret  est capable de passer d’un registre à l’autre en quelques lignes.

La grande embrouille, de Mendoza. Humour foutraque et délirant. Avec Angela Merkel en guest star dans ce roman-ci… Mais à peu près n’importe quel bouquin de Mendoza vous fera passer un bon moment. Le premier de la série avec son héros de coiffeur cinglé, ce doit être Le labyrinthe des oliviers.

Le lézard lubrique de Melancholy Cove, de Christopher Moore, chez folio policier. Moitié polar, moitié SF et 100% n’importe quoi. Un roman parodique sur fond de grosse bêbête godzillesque tirée de sa sieste, et qui se réveille dotée d’une libido hors du commun. Il y a plus ou moins une enquête mais ce n’est pas l’essentiel. On adore ou on déteste, ça s’appelle un livre culte.

Voilà, vous voilà armés pour tenir la journée. Sur ce, je vous laisse, ma panière m’attend.

Ulysse, votre coach en confinement 

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