#16 Journal d’Ulysse, l’as du confinement

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Vous les humains et singulièrement vous, les libraires, êtes en train de découvrir une pratique que nous autres chats avons inventée en des temps ancestraux. Selon nos historiens, cela remonte au jour où pour la première fois l’un de mes glorieux ancêtres a fait à l’homo moyennement sapiens dont vous descendez en droite ligne l’honneur insigne de partager sa hutte. Cette pratique porte un nom, en langage chat nous appelons cela SORTRER. Le concept de sortritude est un peu complexe pour un cerveau humain, aussi vais-je essayer d’être simple et didactique. Certains définissent SORTRER comme l’envie successive de sortir et immédiatement après celle de rentrer. Avant de sortir à nouveau puis de rentrer encore un coup. Ad libitum. Une succession d’actions qui serait la conséquence d’une indécision consubstantielle à la nature féline. La réalité est infiniment plus complexe et puisque mal nommer une chose c’est ajouter à la misère du monde, comme l’écrivait un célèbre gardien de but algérois, permettez-moi d’apporter un démenti. 

SORTRER ce n’est en aucun cas hésiter entre sortir et rentrer comme L’AUTRE et ses congénères semblent le penser. SORTRER ne nécessite d’ailleurs la présence d’aucun humain, même si c’est beaucoup plus drôle de le faire quand vous êtes là et que la porte est fermée. Cela permet de vous faire participer et de tester votre parfaite obéissance mais il ne s’agit là que d’un bénéfice périphérique, en aucun cas de ce qui motive l’action. SORTRER est un acte qui repousse les limites de la physique, on ne parle pas là d’une simple rigolade. SORTRER c’est être dedans et dehors en même temps. Un défi que nous autres chats sommes les seuls à avoir relevé. Schrödinger, ça vous parle ? S’il a choisi un chat plutôt qu’une créature insignifiante (au hasard le chien) pour mener à bien son expérience ce n’est certes pas un hasard. Nous avons une longue pratique, je vous dis…

Alors inutile de vous dire à quel point je trouve amusantes vos tergiversations actuelles. « Il faut  sortir, clament les uns, brandir le flambeau d’une résistance héroïque» « Héroïsme du portefeuille rétorquent d’autres. Nos santés valent mieux que vos profits. Le vrai courage, c’est de rentrer». Et cela dure, et ça dure, et ça se déchire… Dites les gars, plutôt que vous étriper, pourquoi vous n’essayez tout bêtement pas de sortrer ? Ah juste une chose, le jour où vous y arriverez, ne comptez tout de même pas sur votre chat pour vous tenir la porte…

Voici une petite liste de romans qui mettent en scène ceux que vous persister à appeler des animaux. Je note au passage un manque troublant : pas le moindre roman sur le pangolin…

"Mélodie, chronique d’une passion" d'Akira Mizubayashi

Sans pathos ni mièvrerie, Akira Mizubayashi – écrivain japonais d’expression française – nous parle de sa relation fusionnelle avec un être “non humain”, sa chienne Mélodie, morte il y a quelques années. Allant bien au delà du simple récit animalier, Akira Mizubayashi explore les thèmes de l’amour et de la fidélité, prend parti pour Rousseau contre Descartes et sa théorie de “l’animal machine”. La disparition de son animal l’amène aussi à revenir sur la perte de son père, disparu il y a de nombreuses années. La mise en perspective des deux deuils, des deux pertes pourrait paraître triviale, voire choquante. Elle ne l’est pas, ce beau livre touchant et profond est d’ailleurs dédié à la mémoire du père de l’auteur. Disponible en folio.

"L’ami" de Sigrid Nunez

Peut-on raisonnablement accueillir un grand danois (un chien de 60/80 kilos, en gros la taille d’un veau), de surcroît arthritique et en deuil quand on habite un deux pièces à Manhattan, dans un immeuble où les animaux sont proscrits ? Sur cet argument qui pourrait être celui d’une pure comédie, Sigrid Nunez construit une belle histoire, mélancolique à souhait. On y parle chien, certes, mais on y célèbre surtout l’amitié entre les hommes (et les femmes), une certaine forme de fidélité l’amour de l’écriture… et de la littérature. Un roman touchant, au charme doux-amer. Chez Stock, pas encore sorti en poche.

"L’ours est un écrivain comme les autres" de Wiliam Kotzwinkle

Gros succès il y a quelques années, ce roman loufoque met en scène un ours qui accède à la gloire littéraire après avoir volé le manuscrit d’un auteur maudit. Une satire des milieux littéraires et un roman car notre héros a parfois bien du mal à lutter contre sa nature profonde de plantigrade. En poche chez 10/18.

"La fonte des glaces" de Joël Baqué

Dénicher un manchot empereur dans une brocante de rue peut faire basculer votre vie et faire de vous une icône mondiale de la cause écologique. C’est le fabuleux destin de Louis, paisible charcutier à la retraite que rien ne destinait à semblable aventure. Tombé sous le charme de son nouveau copain, Louis va de fil en aiguille se retrouver à arpenter les pôles, l’Antarctique d’abord qui comme chacun sait est le milieu naturel du sympathique oiseau et le Nord ensuite pour des raisons qui regardent le héros et que nous laissons au lecteur la joie de découvrir. Roman écologiste sans doute, qui brocarde avec pas mal d’acidité la mode du greenwashing, mais surtout énorme éclat de rire, "La fonte des glaces" est un petit bijou d’humour absurde réjouissant de la première à la dernière page. En folio.

"Les fourmis" de Bernard Werber

Je me souviens avoir adoré cette lecture qui est un long seller depuis 30 ans. Bien sûr, ce n’est pas un sommet du point de vue de l’écriture mais l’intérêt tient à grande originalité du récit. Et puis, c’est extrêmement vivant. Je le conseille volontiers aux ados mais même si vous êtes un vieil ado, ça peut le faire.

"Le traquet kurde" de Jean Rolin

Qu’y a-t-il de commun entre T. E. Lawrence, St. John Philby, W. Thesiger ou encore R. Meinertzhagen ? Ils sont tout d’abord britanniques, ont vécu au début du XXe siècle marqué par l’impérialisme de leur pays. Ils sont aussi militaires et ont passé beaucoup de temps en Afrique et au Moyen-Orient. Mais surtout ils sont férus d’ornithologie. Fracasser des crânes et observer de petits oiseaux faisait donc bon ménage à cette époque et il y avait même une course à l’observation et à “la cueillette” d’oiseaux rares. Quelques décennies plus tard notre narrateur part sur les traces de ces hommes. Du musée de Tring dans le Hertfordshire où sont basées les collections ornithologiques du British Museum aux confins des montagnes irakiennes. Mais aussi improbable et intéressant que soit ce duo militaro-aviaire, il n’est ici qu’un prétexte pour Jean Rolin et lui permet de dérouler une grande fresque du Moyen Orient. De l’installation du Royaume Ibn Saoud qui débouchera sur l’Arabie Saoudite actuelle, à la bataille rangée que se livrent kurdes, djihadistes et autres factions dans les montagnes du nord de l’Irak, il revient sur plus d’un siècle de turbulences dans cette région. La migration du Traquet kurde, espèce rare observée pour la première fois en France il y a quelques années, ressemble à celle de beaucoup d’autres. Ou comment un petit oiseau devient le symbole d’un monde détraqué. Disponible en folio

"Demain les chiens" de Clifford D. Simak

Un grand classique de la littérature de science-fiction qui date des années 1950. La civilisation canine a remplacé les hommes, qui ont disparu depuis longtemps. Elle peine à se les rappeler, à tel point qu'ils sont parfois considérés comme une invention des conteurs. Les chiens se racontent ces légendes, le soir au coin du feu, pour se distraire et amuser les chiots. En poche (J’ai lu).

"La planète des singes" de Pierre Boulle

Autre grand classique de la SF. Si vous connaissez "La Planète des Singes" à travers le film avec Charlton Heston, vous risquez d’être surpris car l’histoire est assez  différente sur des points fondamentaux.

"Le chat noir" d’Edgar Allan Poe

Une des nouvelles les plus flippantes de E.A Poe, ce qui n’est pas peu dire, et qui montre bien que ce n’est jamais une bonne idée de faire des misères aux matous. Cette nouvelle  doit figurer dans le recueil Les nouvelles histoires extraordinaires si ma mémoire ne me trahit pas. Disponible dans plusieurs éditions de poche, bien sûr.

"Le chat" de Georges Simenon

C’est un peu tiré par les cheveux, car le chat (et son funeste destin) n’est que la mèche qui allume l’histoire. Mais Simenon, c’est tellement bien que je n’ai pas pu résister. L’adaptation au cinéma avec Signoret et Gabin vaut également son pesant de croquettes. Disponible en livre de poche.

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