#14 Journal d’Ulysse, l’as du confinement

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Vous croyez à la métempsychose ? Moi oui, et pas uniquement parce que j’ai neuf vies. Je l’ai longuement observé et je suis maintenant en mesure d’affirmer que L’AUTRE a été poisson rouge dans une vie antérieure.

– Tu  veux bien te poser 5 minutes, lui dis-je, ça me déconcentre de te voir tourner en rond.

– En quoi je te gêne ? s’insurge L’AUTRE. Tu réfléchis à la prochaine bêtise que tu vas faire ?

– Même pas, je suis en train de travailler pour toi. Je pense à la liste du jour. Pourquoi on ne ferait pas une liste de livres de voyage, des récits qui aèrent la tête, des textes qui font prendre l’air…

– Ce n’est pas une mauvaise idée, Ulysse. Bravo !

– Tu vois, tu as de quoi t’occuper. Et puis on cause, on cause, mais c’est bientôt quatre heures, l’heure de la petite promenaaaade. C’est qui qui va être content ?

– Ulysse, sois gentil, arrête de me parler comme à un clébard.

Décidément, L’AUTRE  n’est jamais content. Me vient alors une idée :

– En parlant de chien, pourquoi tu ne profiterais pas des circonstances pour me sortir en balade ? Je promets d’être sage.

– Oui mais non. Souviens-toi, ça n’a pas été une franche réussite la fois ou nous sommes allés au parc. Avec toi en laisse, ça ressemblait plus à une séance de bondage pour chat qu’à une promenade.

– Le problème, c’est ton manque de confiance. J’en souffre énormément. 

– Ce n’est pas l’heure de faire du team building, Ulysse. Aide-moi plutôt à faire un choix.

Après mûres réflexions nous vous livrons donc, L’AUTRE et moi, notre sélection de livres pour prendre un grand bol d’air en appartement !

"Voyage d’une parisienne à Lhassa" d’Alexandra David-Neel

Alexandra David Neel est un personnage absolument fascinant. Orientaliste, intellectuelle, aventurière aussi, elle a passé en grande partie de sa vie en Inde quand à près de 60 ans elle entreprend de traverser l’Himalaya pour rejoindre Lhassa, la capitale interdite du Tibet ! Le voyage durera 8 mois, dans des conditions d’une rudesse inimaginable. 8 mois déguisée en mendiante tibétaine puisque le Tibet est alors absolument hors limite pour les étrangers. Accompagnée seulement de son fils adoptif, un lama tibétain, et d’une force spirituelle qui ne la quitte jamais elle nous lègue un récit passionnant et superbement écrit. Un sommet du genre pour une histoire incroyable.

"Mississippi solo" d’Eddy Harris

Harris a une trentaine d’années à la fin des années 1980 et une carrière d’écrivain qui peine à démarrer quand il se donne un défi. Lui qui n’est pas spécialement sportif et n’a jamais ou presque mis les pieds dans un canoé décide d’entreprendre la descente du Mississippi de sa source, le lac Itasca situé au Minnesota pas très loin de la frontière canadienne jusqu’à la ville de la Nouvelle Orléans. 4000 kilomètres de descente de ce qui bien plus qu’un fleuve et qui est d’une certaine manière l’incarnation des Etats-Unis et de son histoire. Ce périple de plusieurs semaines marqué par de nombreuses rencontres qui donnent à Harris, afroaméricain, l’occasion de s’interroger sur la question raciale dans son pays, lui qui a toujours considéré que la couleur était, dans son cas personnel, un caractère périphérique qui le définissait pas ou très peu. "Mississippi solo", dont la sortie était initialement prévue le 2 avril 2020 devrait bientôt paraître on l’espère, car c’est une lecture qui vaut le coup.

"Amazonia" de Patrick Deville

Ne dites pas à Deville qu’il est un écrivain voyageur, il a horreur de cela ! Toujours est-il que depuis une trentaine d’années, l’homme parcourt les continents et nous en rapporte de superbes pages. Dans "Amazonia", son dernier ouvrage, Deville nous invite à le suivre dans le voyage qu’il entreprend en compagnie de son fils de trente ans au cours du fleuve Amazone, de l’Atlantique jusqu’au Pacifique. Voyage au fil de l’eau, mais aussi promenade littéraire et historique sur ces terres de légende, propice à l’aventure. 

"Extérieur Monde" d’Olivier Rolin

Olivier Rolin a beaucoup bourlingué, de l’ex-URSS au Soudan et un peu partout à la surface de cette planète. Au gré de ses voyages il a noirci des carnets de notes dans lesquels il consignait les rencontres qu’il rapporte  aujourd’hui dans ce récit magnifique. Si on croise quelques célébrités dans les pages d’"Extérieur Monde", (la non-rencontre de Borges à Buenos Aires est savoureuse) ce sont des anonymes, des hommes et des femmes avec lesquels il partagea des instants de vie qu’Olivier Rolin évoque ici. Des rencontres d’une densité particulière, peut-être à cause de leur caractère éphémère, de la certitude de ne pas se revoir. D’une page à l’autre, on enjambe un océan ou quelques décennies, le récit  d’une rencontre suscite l’évocation d’une situation déjà vécue, le regard échangé en rappelle un autre croisé autrefois. Cette construction marabout de ficelle donne vie et rythme et cohérence à ce récit d’un charme fou, nostalgique sans être passéiste. Si de son propre aveu Olivier Rolin n’a pas voulu écrire le récit intime d’un écrivain voyageur, il nous en dit beaucoup sur sa sensibilité et son humanité. Un livre magnifique, impossible à lâcher, et qui donne envie de boucler sa valise… dès que ce sera à nouveau possible !

"Le garçon sauvage" de Paolo Cognetti

Direction le Val d’Aoste, sur les pas de Cognetti, jeune homme qui décide de quitter Milan quelques temps afin de faire le point et se rend dans cette région de montagnes qu’il connaît bien pour y avoir souvent accompagné son père, grand amateur de randonnées. Un très joli texte, produit d’une réclusion de quelques mois, réclusion volontaire et au grand air, celle-ci ! Plus d’informations disponibles sur le site.

"Mémoires d’un avaleur de sabres" de Daniel Mannix

Le jeune Daniel Mannix a une vingtaine d’années lorsqu’il décide, sur un coup de tête, de rejoindre l’une des nombreuses troupes de forains qui sillonnent les routes américaines dans les années 30. L’aventure va durer un an, au cours de laquelle il va devenir cracheur de feu puis avaleur de sabres et même de néons, le fin du fin de la spécialité puisqu’ils vous éclairent de l’intérieur. Effet garanti, et âmes sensibles s’abstenir ! Ces mémoires se dévorent de bout en bout, pour peu qu’on s’intéresse à l’atmosphère magique des fêtes itinérantes, si typiques de l’Amérique de ces années-là. Forcément, on pense à "Freaks", et c’est vrai que là aussi on se prend de sympathie pour des personnages plus hauts en couleurs les uns que les autres : fakirs, télépathes, diseuses de bonne aventure… et même un “homme autruche” qui régurgite des rats vivants. "Mémoires d’un avaleur de sabres" est un passionnant récit d’aventures qui peut également intéresser un jeune public, à partir de treize ou quatorze ans. Ceux et celles que le sujet intéresse pourront également lire "La femme électrique", de Tessa Fontaine, sorti l’année dernière aux éditions du Sous-sol. L’autrice, la petite trentaine, a suivi et partagé l’existence de la dernière troupe américaine à circuler de foire en foire à travers les Etats-Unis. 70 ans après le récit de Daniel Mannix tout a changé et rien n’a changé. Une analyse plus sociologique, plus politique que le récit de Mannix mais un récit lui aussi truffé d’anecdotes incroyables. Anna Fontaine n’avale ni sabres ni néons mais se métamorphose en ELECTRA, la femme électrique qui allume une ampoule avec sa langue !

"L’épopée du Kon-Tiki" de Thor Heyerdahl

Cela se passe dans les années 50 et c’est un des exploits les plus fous du siècle dernier. Heyerdahl, jeune scientifique voulait prouver au monde que les ancêtres des Incas étaient allés peupler la Polynésie. Impossible, lui rétorquait-on, compte tenu des connaissances de l’époque en matière de navigation. Qu’à cela ne tienne ! Heyerdahl va se rendre au cœur de la forêt péruvienne, construire un radeau de balsa aussi gigantesque que rudimentaire et y embarquer avec quelques compagnons aussi peu marins que lui pour une traversée qui durera 3 mois. ! L’expédition du Kon-Tiki relate cette fabuleuse aventure, le combat quotidien des hommes perdus au milieu de l’immensité du Pacifique, les visites des raies géantes, les attaques de requins… Bref, c’est l’aventure avec un grand A. À lire à partir de 13 ou 14 ans.

"Naufragé volontaire" d’Alain Bombard

C’est un peu notre Kon-Tiki à nous. Alain Bombard souhaite prouver que l’homme a les ressources de survivre, même sans provisions, en cas de naufrage. Il entreprend une traversée de l’Atlantique sur un bateau pneumatique, un voyage qui durera plus d’une centaine de jours et qui a bien failli lui coûter la vie. L’expérience date de 1952, le livre sortira l’année suivante et aura un succès phénoménal. J’ai le souvenir de l’avoir lu en bibliothèque verte, ce qui ne nous rajeunit ni l’un ni l’autre, la bibliothèque verte et moi ! C’est je pense la première fois que j’attends plus de 40 ans pour faire une note de lecture et mes souvenirs sont forcément un peu flous. "Naufragé volontaire" est un peu oublié de nos jours, je pensais même que le bouquin était épuisé et puis tiens, non. C’est ressorti chez Arthaud en 2015.

"La dernière étape du Tramp Steamer" d’Alvaros Mutis

Voici un très joli texte, à la frontière de plusieurs genres : journal intime, prose poétique, récit d’aventures. Alvaro Mutis apparaît lui-même en tant que narrateur, recueillant les confidences de Jon Iturri, le personnage principal de cette histoire d’amour et de navigation, les deux étant liés inextricablement. Cependant, on n’est pas dans le registre d’une mise en abyme “classique”; et bien plus que ceux de Borges ou Cortazar, ce sont les noms de Coloane, Zweig ou Maraï qui viennent à l’esprit à la lecture de ce petit bijou. Si vous avez déjà lu et aimé, une autre pépite à (re)découvrir "Le quart" du poète grec Nikos Kavvadias. Sur le pont, durant leur quart, les marins parlent de leur vie passée, de leurs rêves, de leurs blessures, de leurs amours. Un texte intimiste davantage qu’un récit d’aventures, mais j’y pense à l’instant. 

"Le livre de la mer" de Morten Stroksnes

Le narrateur et son ami Hugo, peintre installé dans l’archipel des Lofoten au nord de la Norvège et navigateur aguerri, partagent un projet pour le moins original : capturer depuis leur bateau pneumatique un requin du Groenland, une grosse bêbête qui fait facilement ses 4 ou 5 mètres et peut vivre jusqu’à quatre siècles ! Ça semble incroyable, mais si vous avez deux minutes (et vous avez deux minutes !) allez voir la bêbête sur Wikipedia. La suite de la note de lecture est dans la rubrique coups de cœur du site. Très chouette.

"Ermites dans la taïga" d’Evgueni Peskov

Les vieux-croyants sont des orthodoxes qui, il y a deux ou trois siècles de cela ont décidé de couper les ponts avec la civilisation pour pouvoir continuer à pratiquer sans risquer la persécution un certain nombre de rites spécifiques apparemment mal perçus par la hiérarchie. Ils se sont exilés au fin fond de la taïga où on a un peu fini par les oublier. Dans les années 80, une équipe de scientifiques en mission d’études découvre par hasard, à 200 kilomètres de la ville la plus proche, une famille d’ermites qui vit totalement isolée depuis la fin des années 30 ! "Ermites dans la taïga" est l’histoire de l’apprivoisement réciproque des vieux croyants et des scientifiques, un récit magnifique d’où se détache la figure lumineuse d’Agafia, petite bonne femme pleine de courage et d’une absolue naïveté. 

"La lune est blanche" d’Emmanuel et François Lepage

Hop, une bande dessinée pour finir. Les frères Lepage nous emmènent direction le pôle Sud. Ils ont l’incroyable opportunité de participer au ravitaillement de la base internationale Concordia, située au cœur du continent antarctique, à 1200 kilomètres de la base française Dumont d’Urville, un endroit difficilement comparable à la gare Saint-Lazare un vendredi à 18 heures question affluence (sauf ces jours-ci peut-être!). Autant dire que Concordia, c’est désert de chez désert (rien à 1000 kilomètres), c’est froid (moins 30 degrés celsius) et c’est difficilement accessible. Puisqu’il n’est pas question de se rendre là-bas en simples touristes, les frères Lepage vont se mettre derrière le volant d’un des mastodontes du convoi, sorte de tracteurs des neiges aussi lents qu’ils sont impressionnants. Parallèlement à leur aventure, les deux auteurs nous font revivre les grands moments de la conquête du pôle Sud et la course tragique dont elle fut l’objet. Le résultat mêle photographie et dessin d’une manière absolument géniale, Emmanuel et François Lepage nous offrent avec "La lune est blanche" un récit d’aventure aussi beau que passionnant. Ps : Je profite de l’absence momentanée d’Ulysse parti faire une petite sieste pour ajouter subrepticement un dernier titre en cachette, vous comprendrez aisément pourquoi à la lecture de cette notule. 

"Endurance" d’Alfred Lansing

Lansing rapporte l’une des plus incroyables odyssées de l’histoire maritime, qui n’en est pourtant pas avare. En janvier 1915 le commandant Ernest Shakleton prend la tête d’une expédition de 28 hommes qui ambitionnent de traverser à pied le continent antarctique, une des derniers exploits qui restent à accomplir dans l’aventure polaire. Le navire, L’Endurance, se trouvera bloqué dans les glaces avant de se briser, victime de la pression exercée par la banquise. L’équipage se trouve alors à 2000 kilomètres du plus proche endroit habité. L’aventure est dantesque, les obstacles nombreux et inouïs, les hommes devant traîner les barques de survie sur la banquise mouvante, dangereuse, impraticable. Et ce n’est que le début de cette incomparable odyssée qui durera un an et demi, les marins seront obligés de naviguer sur des coquilles de noix, avant –ultime épreuve- de devoir franchir les redoutables cols de l’île des Eléphants, l’avant-poste qu’ils finiront par atteindre. Le plus étonnant sans doute, c’est que les 28 membres de l’expédition reviendront tous vivants de cette odyssée. Mais ils auront été obligés de manger leurs chiens de traîneau… et aussi le matou du bateau, mascotte de l’expédition.

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