#11 Journal d’Ulysse, l’as du confinement

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La queue ? Paré. Les pattounes ? Ça va, bien planquées. Surtout ne pas oublier les oreilles, la dernière fois c’est ce qui m’a trahi. Là, c’est mieux. Normalement,  il n’a aucune chance de me trouver, je suis tranquille un moment. Nan, pas tranquille, l’adjectif est très mal choisi. Vous avez écouté les informations hier ? C’est atterrant, hein. Un tigre contaminé par un soignant au zoo de New York… Un tigre. C’est fort, c’est costaud un tigre, alors vous imaginez un chat ? Et L’AUTRE qui m’a juré-craché-répété que je ne risquais rien, alors que je suis en danger de mort. Trop bon, trop bête. Mais qu’ouïs-je, qu’entends-je? Chut, plus un bruit, voici L’AUTRE qui rapplique.

– Ulysse, je peux savoir ce que tu fais dans le panier de linge sale ?

– Y’a personne, juste des chaussettes et des T-shirts. Passe ton chemin !

– Ne fais pas le chaton et arrête tes simagrées. C’est quoi ce nouveau délire ?

– Ksss, Pschh ! N’approche pas, assassin !

– Mais enfin, c’est moi Ulysse !

– Justement. Il est où ton masque ? Arrête de me postillonner dessus. Ou alors prends un fusil, ça ira plus vite. Je ne sors pas d’ici tant que tu n’as pas mis un masque.

– Je vais pas mettre un masque dans l’appartement, sois raisonnable. En plus je n’ai pas de masque et puis de toute manière cela ne sert à rien.

– Tu mélanges tout. C’est la semaine dernière que le masque était interdit. Cette semaine c’est obligatoire.

– Ne sois pas si sarcastique, on dirait Mélenchon. 

– Prends-moi plutôt un rendez-vous chez le véto séance tenante, j’exige un test !

– On ne teste pas les animaux Ulysse. Et quand bien même, t’as déjà explosé le budget véto sur l’année. Tu veux que je te rappelle combien m’a coûté ton exploit du mois dernier? 

– C’est pas de ma faute, j’ai été attaqué par un chat supérieur en nombre.

– La prochaine fois que tu veux jouer les cadors, vérifie que je suis à côté. Et après tout, tu n’as qu’à rester dans ce panier si cela t’amuse

– Attends, tu vas où comme ça ?

– Ben, je sors faire les courses. Il faut qu’on mange, quand même.

– Inutile de sortir, j’ai vérifié, on a largement de quoi tenir.

– Non, on a effectivement deux sacs de croquettes, mais il faut des trucs pour moi aussi.

– Tu es en train de m’annoncer froidement que tu t’apprêtes à mettre ma vie en péril juste pour acheter un pack de bières. Mais qu’est-ce que j’ai raté avec toi ?

Mais non, je ne rêve pas. Il vient bel et bien de sortir au risque de revenir couvert de cochonneries qui n’auront qu’un objectif : me sauter sur le poil. Vous voulez mon avis ? On nage en pleine science-fiction. Au fait, L’AUTRE m’a laissé liste avant de déserter lâchement : 10 récits et recueils de science-fiction, justement, pour s’évader sur son canapé. Au vu de certaines histoires, on peut aussi se dire qu’on n’y est pas si mal. J’ai beau être en colère, je vous la donne quand même. Trop bon, trop bête.

Ulysse,

Votre coach en confinement.

"Remington" de Christophe Ségas

Les choix éditoriaux de Benoît Virot, le chevelu et toujours souriant patron des éditions du Nouvel Attila ne sont jamais anodins. Une raison suffisante pour s’intéresser à ce texte qui propose une variation très originale sur le thème parfois convenu du récit post-apocalyptique. La véritable héroïne du roman est une vieille machine à écrire, l’un des derniers objets à avoir survécu au crash majeur (on ne saura pas lequel) qui a causé la fin de la Civilisation. Cette machine va circuler de main en main, les possesseurs successifs apportant touche par touche leurs récits parcellaires, décrivant par touches un monde où l’écrit a disparu et a acquis une dimension presque magique. Une légende en train de s’écrire, en quelque sorte. Une grande qualité d’écriture dans ce qui est je crois un premier roman.

"La tour de babylone" de Ted Chiang

De la science-fiction avec de vrais morceaux de philosophie dedans. Huit nouvelles toutes différentes et toutes très originales qui incitent à la réflexion sur des thèmes essentiels : religion, rapport à l’autre, limites de la sujétion à la science. Un conseil : commencez par la lecture du deuxième texte, laissez pour la fin la nouvelle qui donne son titre au recueil.

"La possibilité d’une île" de Michel Houellebecq

Le magnifique roman d’un écrivain majeur, qu’on l’aime ou qu’on le déteste. Peut-être son texte le moins sarcastique et, d’une certaine manière, avec "La carte et le Territoire", le moins désespéré.

"Le livre des choses étranges et nouvelles" de Michäel Faber

Voici un titre on ne peut mieux choisi pour ce roman original, attachant et troublant à la croisée de plusieurs genres. « Le livre des choses étranges et nouvelles », c’est la Bible, le nom que lui donnent les Oasiens, le peuple étrange, très différent de nous que le pasteur Peter Leigh a pour mission d’évangéliser. Pour ce faire, il a laissé sa femme chez lui, en Angleterre, littéralement à des années-lumière. La situation sur notre planète devient de plus en plus instable, guerres, catastrophes naturelles... la société vacille et il devient de plus en plus difficile pour le couple de communiquer. Seul lui reste l’écrit. Voilà un grand roman d’amour qui traite de la persistance du sentiment amoureux malgré les obstacles, malgré l’absence, malgré la distance. On trouve le texte plus poignant encore quand on connaît l’histoire personnelle de l’auteur. Faber a écrit ce texte après le décès de son épouse, qui avait partagé sa vie durant 26 ans. Ce roman lui est dédié. Il a pris la décision de ne plus écrire, "Le livre des choses étranges et nouvelles" sera donc son dernier roman. Cette lecture date de 2015 ; il faut parfois du temps pour que s’installe le sentiment d’une lecture nécessaire quand d’autres souvenirs, qu’on pensait à jamais inscrits finissent par s’estomper. On tente une relecture pour raviver la flamme et puis on l’interrompt car décidément la magie n’opère plus. On est un peu déçu de retrouver un vieil ami avec qui on a plus grand-chose à partager, sa présence dans les rayonnages rassure à la manière d’une photographie, mais le temps est gelé, on espérera en vain le retour de l’émotion et on pense à ces autres rencontres qui auraient pu se faire si seulement on avait consenti l’effort. "Le livre des choses étranges et nécessaires" est un grand livre, un livre que je regrette de ne pas avoir à portée de main, en ce moment précis où je vous écris, un livre que je remettrai sur table lorsque le temps sera venu, un livre que j’aimerais que vous découvriez.

"Exodes" de Jean-Marc Ligny

Un futur pas si lointain… Le réchauffement climatique n’est plus un sujet d’empoignade entre experts, mais une cruelle réalité qui a exterminé presque toute vie animale. Les hommes, quant à eux, survivent et tentent de s’adapter. Avec des conditions de vie et des fortunes diverses. Tandis que l’élite économique vit au sein d’espaces clos et protégés, ceux du dehors (les outers) sont soumis à des phénomènes climatiques dantesques, et toujours sous la menace des Boutefeux, Mange-morts et autres marginaux. Si le roman de Jean-Marc Ligny fait la part belle à l’action, il nous propose bien autre chose qu’une “histoire à la Mad Max”. En nous faisant suivre longuement le parcours de certains de ces survivants, parcours appelés à se croiser, il nous invite à une réflexion sur la part d’humanité irréductible en chacun. Que reste-t-il quand il ne nous reste plus rien ? Un beau roman, crépusculaire à souhait. 

"Sur la route" de Cormac McCarthy

LE récit post-apocalyptique par excellence. Indépassable et crépusculaire.  Entre "En attendant Godot" et "The Walking dead" !

"Le problème à trois corps", la trilogie de Liu Cixin

Même si vous n’êtes pas un passionné de science-fiction, vous connaissez peut-être l’existence de ce monument devenu un phénomène d’édition car son  lectorat a largement débordé le cercle des amateurs d’anticipation. C’est mérité parce que c’est un véritable chef-d’œuvre, mais c’est étonnant car il s’agit un roman d’un abord assez difficile. Je vous ressors ici, à la suite, la note mise en ligne sur le site de la librairie à l’occasion de la parution du premier tome. Je me demandais à l’époque si les deux tomes annoncés à la suite seraient du même niveau, et la réponse est oui. Lecteur occasionnel de science-fiction, j’ai ouvert "Le problème à trois corps" avec le sentiment de m’aventurer dans une micro-niche (la SF chinoise) à peine moins exotique que le burlesque nord-coréen… C’était avant d’apprendre que le bouquin, qui vient d’être traduit en français mais a paru en 2006, a remporté une flopée de prix dont le plus important du genre, le prix Hugo. C’était avant de lire le long article que "Le Monde" a consacré à l’auteur en dernière page de son supplément livres il y a quelques semaines de cela. La sortie du "Problème à trois corps" est donc un événement pour les amateurs du genre. Pour les autres, c’est l’occasion de se plonger dans un roman très éloigné des clichés qui collent parfois à la S-F. Déjà, une histoire qui commence avec la fille d’un intellectuel pris dans les tourments de la révolution culturelle, ça change des sempiternelles figures du genre ! En deux mots, l’histoire est celle d’une invasion à venir : celle de notre planète. Les envahisseurs, qui vivent dans un environnement très hostile caractérisé par une grande instabilité des équilibres physiques ont eu vent de l’existence d’une galaxie beaucoup plus accueillante (la nôtre !) par le biais d’une jeune scientifique en camp de rééducation qui leur a sciemment indiqué la route à suivre. Dans quelques siècles, ils seront là. A moins que… "Le problème à trois corps" appartient au sous-genre de la hard SF, où l’auteur s’appuie au maximum sur les connaissances scientifiques et développe une intrigue/un univers qui ne va pas à l’encontre de ces règles. Ce qui suppose pour l’auteur d’avoir une formation scientifique (académique ou acquise sur le tas) assez poussée. Cela vaut aussi, j’imagine pour le lecteur. N’étant pas dans ce cas, je suis tout à fait prêt à admettre qu’un certain nombre de considérations me passent largement au-dessus de la casquette mais cela n’a pas nui à mon plaisir de lecture. Contrairement à ce que j’ai pu lire ça et là sur les forums, le bouquin ne me semble absolument pas manquer de rythme et les reproches portant sur la supposée “lourdeur” du style et/ou de la traduction sont à mon sens nuls et non avenus. Les deux premiers tomes sont sortis en poche (babel) le troisième n’est pour l’instant qu’en grand format.

"Abzalon" de Pierre Bordage

Bordage est l’un de nos plus grands auteurs de science-fiction, spécialistes et lecteurs occasionnels s’accordent là-dessus. Et "Abzalon" est sans doute mon roman préféré de Bordage. C’est un space opera de très grande qualité. Toute une société est enfermée - des humains et d’autres races - dans un vaisseau spatial parti conquérir une nouvelle planète, au cours d’un voyage destiné à durer plus d’un siècle. Un confinement au long cours, assez différent de celui que nous vivons actuellement, et donc une belle occasion de s’évader ! Il existe une suite, "Orchéron", qui se passe sur la fameuse nouvelle planète, quelques siècles après l’arrivée de nos pionniers. C’est bien aussi, et cela peut tout à fait se lire indépendamment d’"Abzalon".

"Eclosion" d’Ezekiel Boone

Arachnophobes s’abstenir ! Les bêbêtes sont énormes, elles sont nombreuses, elles sont gourmandes et, mauvaise nouvelle, elles ont décidé d’avoir notre peau. Tout le Baygon jaune que vous pourrez vous procurer n’y changera rien, on est bel et bien foutus ! Plutôt que vous ruer au Carrefour Market dévaliser le rayon produits ménagers, installez-vous confortablement et dégustez cette bonne vieille série B de papier, moitié horreur, moitié SF avec une bonne dose d’auto-parodie. Il existe même une suite, pour ceux et celles qui se découvriraient une inclinaison coupable pour ce sous-genre.

"Dans la toile du temps" d’Adrian Tchaïkovski

Des araignées encore, et si celles-ci sont moins voraces que celles décrites plus haut, elles sont aussi beaucoup plus intelligentes. La faute à qui ? Ben, un peu à nous. A l’origine, ces araignées habitaient une planète sur laquelle des pionniers terriens avaient des vues et l’idée, c’était de préparer notre arrivée en nous dotant de relais sur place qui permettraient de gagner un temps précieux. Au départ, on pensait plutôt aux singes, mais vous savez ce que c’est quand on expérimente, rien ne se passe vraiment comme prévu. Résultat des courses, cette planète qui reste le dernier espoir de la race humaine est maintenant aux mains d’araignées bien décidées à résister encore et toujours à l’envahisseur, nous en l’occurrence. Je simplifie l’intrigue à outrance, car elle ne manque pas de complexité. Mine de rien, le roman pose la question de l’ouverture aux autres, de la recherche d’un intérêt supérieur commun, nous parle de diplomatie, d’affrontements politiques, montre aussi que la guerre n’est pas toujours le seul choix possible et qu’il est envisageable parfois d’écrire un destin en commun. À condition d’essayer. Humaniste et hautement recommandable.

"Mes vrais enfants" de Jo Walton

Vous vous êtes déjà demandé comment se serait déroulée votre vie si à certains moments clé vous aviez fait des choix différents ? De toute évidence, Jo Walton s’est posé cette question. Le moment où l’histoire se scinde et où divergent deux futurs possibles est celui où son personnage principal Patricia (Trish, Tricia) décide ou non de rompre ses fiançailles. À compter de cet instant, on suit deux familles, deux destins professionnels et deux sociétés qui évoluent dans des directions différentes. Un mariage très réussi entre l’uchronie et le roman intimiste à la sauce british. 

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