L’année du lièvre, trilogie dont le 2ème tome vient de sortir, nous plonge au coeur de l’une des plus grandes tragédies de l’Histoire contemporaine, celle que subit le peuple cambodgien lors du règne sanguinaire des Khmers rouges.
Nous sommes le 17 avril 1975, jour du nouvel an cambodgien, jour que choisissent les Khmers rouges pour entrer dans Phnom Penh. Tian nous fait vivre ces journées très particulières à travers la destinée d’une famille bourgeoise de la capitale, qui va être emportée dans le maelstrom de la révolution. Contraints de quitter la ville comme l’ensemble des habitants, Khim et les siens s’efforcent de rejoindre Battambang, un village du nord du pays où ils ont des attaches.
C’est cette odyssée que nous conte Au revoir Phnom Penh, premier volume de cette histoire. Le terme Odyssée n’est pas trop fort tant les épreuves s’accumulent sur Khim et les siens. Les routes sont coupées, les informations parcellaires et contradictoires. On manque de tout, c’est le règne du troc. Cette atmosphère de chaos et d’incertitude est parfaitement rendue par l’album. Atmosphère de peur aussi, car la classe sociale de cette famille bourgeoise l’expose particulièrement à la vindicte des patrouilles khmères rouges, composées souvent d’adolescents, d’enfants presque. Personne, en fait, n’atteindra Battambang. La famille est arrêtée à un poste de contrôle. Fin du premier album.
Six mois plus tard, nous retrouvons la famille de Khim qui a été déportée à la campagne afin d’être « rééduquée » par le « peuple ancien » (les villageois, dans la rhétorique Khmer Rouge). Mauvais traitements, suspicion permanente, travaux harassants, exécutions arbitraires… on bascule alors dans l’horreur totalitaire. L’endoctrinement atteint des sommets : les enfants sont retirés des familles, pris en main par des « éducateurs » pour devenir de parfaits petits espions. Ce quotidien est au coeur du deuxième tome, ironiquement intitulé Ne vous inquiétez pas.
L’année du lièvre est un travail remarquable, aussi émouvant qu’il est documenté. L’auteur, Tian, y a sans doute mis beaucoup de lui-même. Il est né trois jours après l’arrivée des Khmers Rouges à Phnom Penh, comme le fils de Khim. Hommage à un peuple qui a beaucoup souffert et une tentative de comprendre comment des hommes ont cherché à effacer leur propre peuple. Mais pourra-t-on jamais comprendre ?
Editions Bayou – chaque tome 17,25 €