TOUS, SAUF MOI – Francesca Melandri

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Un soir en rentrant du travail, IIaria trouve  à la porte de son appartement un jeune noir d’une vingtaine d’années, un clandestin arrivé à Rome depuis peu. Le garçon est éthiopien et dit qu’il cherche son grand-père, un certain Attilio Profeti. C’est aussi  le nom du père d’Ilaria. Un homme plein de secrets, elle le sait : elle s’est déjà, sur le tard, découvert un demi-frère.  Il y  aurait donc un quatrième  fils ? Ce serait l’aîné, en fait. Attilio l’aurait eu très jeune, quand il était en Ethiopie.

Avec ce troisième roman traduit chez Gallimard, Francesca  Melandri signe un très beau roman familial qui est aussi un récit historique passionnant où on explore différents pans de l’histoire contemporaine italienne.  L’histoire est vue à travers le personnage d’Attilio Profeti. Un homme à qui la vie a toujours tout donné : un physique et une prestance hors du commun, un charme indéniable et suffisamment de neurones pour tirer profit de ces atouts naturels tant dans le domaine  professionnel que dans sa vie privée.  Menant une carrière qui fit de lui un homme aisé sinon riche, Attilio Profeti  a réussi à mener  parallèlement  sans inconvénient majeur (pour lui) une histoire complexe entre ses deux familles,  l’officielle et celle qui est cachée, longtemps ignorantes l’une de l’autre.

En 2010, à l’époque où débute le roman et où surgit ce petit fils inattendu, Attilio Profeti est un très vieil homme dont la mémoire se perd et qui éprouve une peur panique à l’idée de sa mort prochaine.  A travers l’enquête que mène Ilaria, les questions qui se posent à elle, remontent à la surface  des pans entiers de l’histoire de son père. .. et sur un plan plus général différents épisodes de l’Histoire italienne : l’époque coloniale essentiellement mais aussi celle de l’affairisme de l’après-guerre et les navrantes années Berlusconi.

Nous voici donc plongés dans l’Italie Mussolinienne, quand  le pays voulait lui aussi sa part du gâteau colonial.  Cette période de « conquête », d’invasion plutôt, est vue presque exclusivement du côté italien. C’est une riche idée qu’a eu Francesca Melandri de nous faire suivre les agissements fascistes en Ethiopie à travers le parcours d’un personnage aussi égotiste qu’Attilio Profeti.  Uniquement mû par la recherche de son intérêt ou de son plaisir immédiat  (une attitude qu’il conservera toute sa vie) il symbolise une relation où l’autre, l’Ethiopien, n’est tout simplement pas un sujet. Les épisodes les plus choquants de l’occupation italienne sont rapportés avec une absence de pathos, une froideur  qui les rend plus forts encore.

Tous sauf moi est semble-t-il en train  de devenir un succès d’édition majeur en Italie. Les sujets que le roman aborde, la conquête et la colonisation, sont en Italie comme ailleurs en partie occultés. Les rapports que le pays entretient avec son passé fasciste prennent bien sûr une résonance particulière aujourd’hui, même si la question des relations entre anciennes puissances coloniales et descendants des pays colonisés ne concerne évidemment pas la seule Italie. Une raison de plus de lire Tous, sauf moi, la première étant que vous avez là l’un des meilleurs romans sortis en 2019, à mon humble avis. Mention spéciale à la traductrice, Danièle Valin, qui a déjà traduit les deux précédents romans de Melandri.

Traduit de l’italien par Danièle Valin

Gallimard Du monde entier – 24€

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