T comme… TELEPHONE

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Laisse pleurer le téléphone, ça fait des vacances…


Je ne sais si vous croyez en l’existence de cette forme de justice qu’on dit poétique, mais moi, j’y crois dur comme fer. Car les exemples sont nombreux, de ces statues du commandeur qui viennent nous gratouiller la mauvaise conscience derrière les oreilles. Aujourd’hui je n’en retiendrai qu’une, emblématique il est vrai puisqu’il s’agit du TELEPHONE.

Dans une vie professionnelle pas si lointaine, figurez-vous que j’ai mis toute mon intelligence et mon professionnalisme (limités, j’en conviens) à pousser des individus incrédules et près de leurs sous à composer un numéro de téléphone commençant par 08 pour se procurer à prix d’or des objets et services d’une utilité somme toute relative. A l’époque, j’espérais un tsunami d’appels, car de l’importance de la vague dépendait en partie celle de ma rémunération. J’y mettais donc, je n’ose dire toute mon âme, en tout cas tout mon savoir-faire. Bref, j’espérais les appels. Je les espérais autant qu’aujourd’hui, je les redoute.

Car j’ai un problème avec le téléphone… Oh, rassurez-vous, vous pouvez continuer à dégainer votre cochonnerie dernier cri dans la librairie pour tenir des conversations d’un intérêt relatif ; je me suis fait depuis longtemps aux longs conciliabules dont je suis l’involontaire auditeur. J’encaisse avec le détachement requis la description de l’accouchement de la petite dernière, j’ai vécu plus d’une fois des ruptures en direct (je me fais alors l’effet du barman dans un roman de Pelecanos et cela ne me déplait pas) mais j’avoue continuer à tiquer un peu quand on me tend avec autorité un téléphone et qu’on me passe « le petit » qui veut me passer la commande du livre scolaire dont il n’a rien à secouer. Si j’avais voulu bosser dans un call center, je me serais établi un peu au sud du 19ème, j’aurais eu le soleil au moins. Bref, pour ne rien vous cacher, j’ai un problème avec le téléphone.

Question de génération, sans doute. Figurez-vous que le téléphone, moi, je ne suis pas né avec. Pour tout vous dire, je suis d’une génération qui a connu la Dame du Téléphone. Apprenez que mon premier appel date de 1969 ou 70 (un peu avant l’enterrement du Général, pour permettre aux plus jeunes à se situer). Je demandais à parler à tonton Machin à une gentille dame, et miraculeusement elle me passait tonton Machin. Quand je dis cela à une gamine de douze ans aujourd’hui, elle est persuadée que je me moque d’elle. C’est pourtant la stricte vérité. Les moteurs de recherche les plus pointus n’en sont pas encore rendus là, en terme de personnalisation ou je me trompe ? Enfin, toujours est-il qu’en ce temps que les moins de vingt ans (et même de 40, soyons réalistes) ne peuvent pas connaître, on ne gaspillait pas son forfait et on n’invoquait pas en vain le nom de France Telecom. Chaque appel était mûrement réfléchi et faisait ou presque l’objet d’un conseil de famille. A cette époque – et sans chercher en aucune manière à influencer votre comportement – jamais on aurait osé déranger son libraire au téléphone autrement que, disons, pour lui commander la collection complète de l’Encycloepedia Universalis.

Mais les temps changent, et aujourd’hui, on fait rien qu’à nous appeler pour des vétilles. C’est vraiment n’importe quoi. Et assez étonnant d’ailleurs, la manière de réagir de chacun d’entre nous, à la sonnerie du téléphone. Les plus jeunes d’entre nous (tous sauf moi, pour ceux qui fréquentent la librairie) sautent sur l’appareil comme des chiens fous… Quitte à laisser en plan la personne qui a fait l’effort de se déplacer pour répondre à l’interlocuteur que « oui, nous sommes ouverts » à la feignasse qui fait rien qu’à tapoter sur son cadran. Mais rassurez-vous, je veille, et prends un malin plaisir à laisser l’immonde saloperie sonner pendant que je m’entretiens avec vous de l’air du temps ou de toute autre chose qui nous amuse vous et moi. Parce que j’ai horreur qu’une machine me siffle et me dicte mes priorités. Et ce qui me semble vraiment extraordinaire, c’est l’impression d’être quasiment le seul à abhorrer cela. Bon, sur ce, je dois vous laisser, je crois qu’on me sonne sur mon portable…

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