RETOUR INDESIRABLE – Charles Lewinsky

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gerron Qui se souvient de Kurt Gerron ? Acteur vedette de l’avant-guerre (il joua dans l’Ange Bleu avec Marlène Dietrich), réalisateur, il fut interné au camp de concentration de Theresienstadt, un camp où il retrouva un nombre important de personnalités du spectacle, des écrivains, des savants, des médecins de premier plan, tous déportés parce que juifs. Une vie culturelle intense existait, autorisée et contrôlée par les nazis qui voulaient travestir la réalité et faire du camp de Theresienstadt une vitrine « acceptable » du sort qu’ils réservaient à la population juive. La réalité était bien sûr toute autre : la faim, la surpopulation, les mauvais traitements et les humiliations étaient la norme, les conditions de vie étaient terribles.

A l’occasion d’une visite de la Croix-Rouge, les nazis entreprirent la construction d’équipements fantômes, firent soudain apparaître sur les tables de « restaurants » construits pour l’occasion des plats dont les déportés de Theresienstadt avaient oublié depuis longtemps le goût. La fable fonctionna si bien que le commandant du camp entreprit de faire tourner un film de propagande qui devait être projeté dans les pays neutres. Le Fürher offre un ville aux Juifs en était le titre. Kurt Gerron fut forcé d’en assurer la réalisation. Il fut déporté à Auschwitz avec sa femme dès les derniers plans bouclés et gazé dès son arrivée. Voici pour les faits historiques.

Charles Le insky s’inscrit dans ce cadre historique, dans un récit écrit à la première personne, dont Kurt Gerron est le narrateur. Peut-on s’emparer d’un personnage historique pour en faire un personnage de fiction ? Quelle part de liberté prendre avec la vérité historique ? Le vieux débat reste ouvert. Il faut reconnaître que le récit fonctionne ici admirablement. Lewinsky nous retrace la vie de Gerron, depuis l’enfance, avec l’épisode décisif de la première guerre mondial où il fut blessé et qui décida en bonne partie de la suite de sa vie. On sent chez l’auteur une vraie empathie pour le personnage, rendu il est vrai extrêmement attachant. C’est un récit poignant, une grande fresque humaine que signe l’auteur de Melnitz, avec la figure singulière de Kurt Gerron, éternel cabotin, comédien né, aussi fragile intérieurement qu’il pouvait être physiquement imposant.

Traduit de l’allemand par Léa Marcou

Grasset – 22.90 euros.

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