L’INVENTION DES FRANCAIS – Jean-François Kahn

L’INVENTION DES FRANCAIS – Jean-François Kahn

KAHN Eminent spécialiste de la variété française, Jean-François Kahn connaît bien et est capable d’entonner la scie célèbre sur le lycée Papa, le lycée Papa, le lycée Papillon. Il y ferait en tous les cas merveille pour y enseigner l’histoire, plus particulièrement une page méconnue, pour ne pas dire totalement gommée, de notre passé, l’époque où notre pays n’était pas encore la France, mais la Gaule, indépendante puis romaine.

C’est à celle-ci qu’il consacre son nouveau livre*. Les nostalgiques du Lavisse et du Mallet-Isaac en seront pour leurs frais tout comme les lecteurs impénitents d’Uderzo et Goscinny. Car notre barde taille des croupières aux visions très différentes que les uns et les autres nous donnaient de nos lointains ancêtres. Ils n’étaient pas plus de « bons sauvages », un tantinet indisciplinés, que d’irréductibles « casseurs » de Romains, vivant une sorte d’âge d’or dans un village totalement coupé de l’extérieur. La preuve, ils eurent leur mai 68 qui ravale au rang de simple chahut estudiantin mai 1968. A en croire Jean-François Kahn, ils furent les auteurs et les acteurs de la première insurrection antitotalitaire. C’est depuis Lugdunum ( Lyon) qu’ils appelèrent à la révolte contre un abominable tyran, Néron, lequel avait, pour eux, le grand tort d’être par trop oriental, levantin d’esprit et de manières, et pas assez romain comme eux l’étaient… Le récit que donne de cette insurrection Jean-François Kahn nous console allègrement des heures jadis passées à traduire péniblement la Vie des Douze Césars de Suétone, chroniqueur constipé et morose.

C’est une fresque allègre et érudite qui doit plus à Rabelais qu’à Tite Live ou Tacite. Kahn se mue en historien, passionné et passionnant, de cette révolte, quitte à sacrifier parfois à son penchant pour des calembours dignes de l’Almanach Vermot. Revendiquant l’anachronisme ou ne le tenant pas, à juste titre, comme une faute, il établit de salubres parallèles avec le présent. Il y avait déjà une Gaule d’en haut et une Gaule d’en bas, tout comme l’on se plaignait déjà, du côté du Capitole, de l’invasion étrangère, à savoir ces êtres étranges, autrefois vêtus de braies, qui prétendaient désormais porter la toge et siéger au Sénat parmi les Pères conscrits. Rome avait son « malaise des banlieues » et peinait à intégrer les peuples passés sous son joug. Des peuples dont la soumission était la conséquence de leurs divisions et de leur incapacité absolue à s’unir face au rouleau compresseur romain et à ses multiples séductions. Des peuples au demeurant plongés dans l’idiotie et l’obscurantisme par les Druides, les intellectuels germanopratins de l’époque, rétifs à toute popularisation de la culture. Ce qui nous vaut quelques développements inattendus sur les conséquences, fructueuses et positives, de la rencontre, à Marseille, alors Phocée puis Massalia, entre Gaulois et Grecs. Marseille était déjà et à plus juste titre capitale européenne de la culture.

Ayant tout lu, Jean-François Kahn réécrit aussi le De Bello gallico de Jules César, et nous donne une version très personnelle de la carrière de Vercingetorix et de ses épigones, défenseurs d’une « indépendance gauloise » aux contours pour le moins flous. On ne résume pas un tel livre, on se plonge dedans, on le savoure comme une cruche de vin de la Narbonnaise ou une coupe d’hydromel. Ivresse assurée sans crainte d’une gueule de bois matutinale, tout juste une irritation des méninges contre ce que nos bons maîtres omirent de nous raconter.

éditions Fayard – 23 euros

critique par Pätrick Girard